Le journal « Le Monde » considère le retour des oeuvres de Lino Brocka sur les écrans comme un moment essentiel à ne pas manquer. Le distributeur Carlotta fait revivre le cinéaste philippin légendaire en publiant régulièrement des films restaurés, faisant prendre conscience de plus en plus de leur pertinence. Brocka, qui a débuté à Cannes en 1976 avec le film « Insiang », a produit en continu de nombreux films entre les années 1970 et 1990, mais seulement une petite partie nous a été transmise, beaucoup étant considérés comme perdus.
Brocka, souvent surnommé le Fassbinder philippin, est décédé prématurément à 52 ans. Il a exploité les genres populaires, y compris le mélodrame (Manille, 1975), pour mettre en lumière les divisions sociales profondes et les conditions de vie réelles du peuple philippin, pendant la dictature de Ferdinand Marcos qui a dominé le pays.
« Bona » (1980) est un autre film de Brocka qui a été redécouvert. Les négatifs originaux ont été retrouvés récemment grâce aux indices laissés par Pierre Rissient avant sa mort, un grand cinéphile et importateur des films asiatiques. Le film porte le nom de son héroïne, une lycéenne de la classe moyenne de Manille, jouée par Nora Aunor, une superstar de la chanson très aimée des Philippins et également productrice du film. Elle apparait dès les premières scènes entourée d’une foule lors d’une procession religieuse, où Brocka semble l’avoir incognito placée, comme une simple passante.
Engouement fanatique
Bona fait régulièrement l’école buissonnière pour se rendre sur les lieux de tournage et admirer Gardo, un jeune comédien en marge de la scène principale. Un jour, elle abandonne tout – sa majestueuse résidence, son train de vie confortable, son éducation et sa famille, pour vivre avec lui dans une taudis délabrée située au cœur d’un bidonville. Elle se transforme en sa domestique, accomplissant ses tâches ménagères et prenant soin de lui sans recevoir la moindre appreciation en retour. Gardo, le prétentieux, n’hésite pas à engager des comportements extravagants, comme rentrer tard le soir en état d’ivresse ou accompagné d’une nouvelle conquête pour passer la nuit.
Le film, Bona, aborde le phénomène des alalay, ces admiratrices obsédées qui jouent un rôle ambigu de soutien et d’exploitation auprès d’une célébrité. Par ricochet, le réalisateur Brocka cible plus largement le « fanatisme », un comportement engendré par la société du spectacle et qui est synonyme d’une forme perverse d’asservissement volontaire. Le génie du film réside dans son choix de ne pas chercher à justifier ou à expliquer la décision de Bona. C’est un choix qui concerne uniquement Bona et qui est présenté au spectateur dans toute son opacité et ses conséquences ultimes, aussi effrayantes soient-elles, mais libératrices aussi.
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