Catégories: Culture
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21 août 2024 17 h 06 min

« Simenon: Source pour cinéma et télévision »

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Georges Simenon (1903-1989), un romancier du siècle dernier, a laissé un héritage artistique d’une exceptionnelle valeur, qui continue de fasciner le public. Simenon a produit une multitude d’œuvres (193 romans, 75 enquêtes, 158 nouvelles) et a créé des personnages inoubliables comme l’inspecteur Maigret. Il a été si prolifique qu’il a également écrit 176 autres fictions sous divers pseudonymes. Son style unique et universellement reconnu a largement contribué à sa réputation, rendant son œuvre attrayante pour de nombreux cinéastes – en effet, plus de 180 de ses œuvres ont été adaptées en films et 300 en émissions télévisées.

Dès 1932, trois adaptations de ses travaux ont été réalisées presque simultanément, lançant une tendance qui se poursuit encore aujourd’hui. Les premiers réalisateurs des adaptations « Maigret » ont fait appel à leurs proches pour interpréter les personnages principaux – par exemple, dans « Le Chien jaune », Abel Tarride a été dirigé par son fils Jean. Dans « La Nuit du carrefour », Pierre Renoir a été guidé par son frère Jean Renoir. En 1933, Julien Duvivier a fait appel à son collaborateur de longue date Harry Baur pour le rôle principal dans « La Tête d’un homme », une adaptation que Simenon lui-même avait refusé de mettre en scène. Cette collaboration entre Simenon et le cinéma français a continué pendant les années de guerre et les décennies qui ont suivi, avec des acteurs célèbres comme Raimu dans « Les Inconnus dans la maison » (1942), Jean Desailly et Jules Berry dans « Le Voyageur de la Toussaint » (1943). Simenon a également brillamment décrit la société française sans concession.

Semblable à ses romans, les adaptations cinématographiques réfléchissent les progrès et les tensions de la société en temps réel. En 1953, « La neige était sale », réalisé par Luis Saslavsky, un ancien journaliste argentin qui s’était exilé en France durant la dictature de Juan Peron, mettait en avant la star montante, Daniel Gélin. Cependant, malgré le fait que le roman noir de Simenon avait déjoué la censure, son film n’a pas eu la même chance. La commission de contrôle a jugé qu’il y avait trop de « mauvais Français » dans le film, qu’elle a décrit comme « contraire aux bonnes mœurs ». Ils ont donc refusé de lui accorder son visa d’exploitation, dans un contexte influencé par un ordre moral issu de la collaboration et du nazisme. Saslavsky a dû donc modifier son film, le déplacer dans un autre pays, effectuer des coupures et ajouter un avertissement avant sa projection: « La neige était sale cherche seulement à approfondir un cas strictement individuel d’anomalie et d’angoisse ». À la fin, sa diffusion était uniquement limitée à ceux âgés de plus de 16 ans.

Dans l’exploration de l’âme humaine, l’écriture de Simenon et la dynamique subtile de ses intrigues dynamisent le jeu et la mise en scène des acteurs, engendrant plusieurs joyaux du genre. Qu’ils soient renommés ou mis en lumière par leurs rôles, les acteurs portent à l’écran une manifestation des forces et des faiblesses, de l’éclat et des ténèbres d’une population ordinaire, dessinant avec virtuosité un portrait sans fioritures de la société française. On sera surpris de trouver Annie Girardot aux côtés de Jean Gabin, en 1958, dans le film « Maigret tend un piège » de Jean Delannoy ? Ou Brigitte Bardot et Edwige Feuillère dans le film « En cas de malheur » de Claude Autant-Lara, jusqu’aux productions de Pierre Granier-Deferre comme « Le Chat » (1971), « La Veuve Couderc » (1971) et « Le Train » (1973), où Simone Signoret, Alain Delon, Jean-Louis Trintignant et Romy Schneider marquent de leur empreinte la toile. C’est alors une véritable étincelle de succès.

Les femmes occupent des rôles cruciaux dans ces films, apportant des nuances et des complexités psychologiques qui mettent en lumière les personnages masculins perturbés. C’est le cas, par exemple, de Viviane Romance dans « Panique », un film de Julien Duvivier inspiré par « Les Fiançailles de M. Hire », présenté en première à la Mostra de Venise en 1947 puis en France. Une autre adaptation est celle de « Monsieur Hire » par Patrice Leconte en 1989, mettant en scène Michel Blanc et Sandrine Bonnaire. Ces rôles profonds ont offert un terrain fertile pour de nombreuses figures importantes du cinéma français, allant de Danielle Darrieux et Françoise Arnoul à Françoise Fabian et Nathalie Baye. En 2022, Fanny Ardant et Gérard Depardieu se joignent à Benoît Poelvoorde dans « Les Volets verts », adapté par Jean Becker, offrant à Jean-Loup Dabadie l’opportunité de rédiger son dernier script.

D’une certaine manière, on pourrait penser que Simenon est une source de succès infaillible, invitant plusieurs artistes renommés à créer à partir de son travail, y compris Marcel Carné, Henri Verneuil, Jean-Pierre Melville, Bertrand Tavernier, Claude Chabrol et Georges Lautner. Maurice Pialat est le seul à avoir été déstabilisé par l’écriture apparente de Simenon. « Croyant pouvoir faire sans adaptation, le réalisateur n’a jamais réussi à faire son film », a expliqué Pierre Assouline, biographe.

La prose fluide et riche de Simenon crée un champ fertile pour l’évocation de sentiments et d’émotions qui semblent se faire écho. L’écrivain possède l’habilité à libérer ses histoires du concept de temps et d’espace, rendant ainsi ses œuvres non seulement intemporelles, mais également en connexion constante avec l’évolution courante de la société. Même si les lecteurs d’aujourd’hui ne reconnaissent pas forcément la source simenonienne de ces fictions, leur atmosphère et leur discrète retenue trouvent leur écho dans les souvenirs de personnes à travers le globe. Ces œuvres ont aussi trouvé une place dans d’autres domaines des arts visuels, comme la bande dessinée. Bien que Simenon n’ait reçu ni le Goncourt ni le Renaudot, et encore moins le prix Nobel de littérature, son statut dépasse ces distinctions prestigieuses. L’écrivain est considéré comme un auteur universel de la culture populaire, incarnant M. Tout-le-Monde, le mythe de l’homme ordinaire, qui est le personnage principal de tous ses romans.
Pour plus d’information sur la collection publiée par Le Monde, visitez le site Lemondedesimenon.fr.

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