Niabla est à la fois un thriller et une exploration linguistique. Cette série, produite par Canal+ et diffusée en Afrique à la fin de 2023, suit l’aventure d’une femme métisse franco-ivoirienne (joué par Aude Forget, la co-créatrice de Niabla qui est elle-même franco-ivoirienne) qui se plonge dans le monde souterrain d’Abidjan pour retrouver une sœur qui disparaît aussitôt qu’elle est retrouvée. Toutes les aspects du crime organisé sont en jeu, allant du trafic de drogues à la prostitution, en passant par une corruption systémique. Ces intrigues sont exprimées à travers des dialogues fascinants qui mettent en évidence tous les dialectes de la métropole ivoirienne, de la parlure pompeuse de l’intelligentsia à la poésie brute du nouchi, le langage de banlieue.
Gauz, aussi connu sous le nom d’Armand Patrick Gbaka-Brédé, mérite une grande part du crédit pour ce feu d’artifice. Le romancier, qui a écrit « Debout-payé » (Le Nouvel Attila, 2014) et plus récemment « Les Portes » (un récit inspiré par l’occupation de l’église Saint Bernard à Paris par des sans-papiers en 1996), vit à Abidjan. Il a rejoint le projet en tant que co-auteur avant de passer devant la caméra dans le rôle de Yao, un officier de police alcoolique. De retour de ses vacances aux Canaries, il revient sur cette expérience qui l’a sorti de l’isolement de l’écrivain.
Comment avez-vous été impliqué dans ce projet?
Canal+ et Cousines et Dépendances, une société de production, m’ont approché pour un projet. J’ai trouvé l’idée, co-écrite par Aude Forget et Anthony Martin, attirante. Une situation personnelle m’avait retenu l’attention : un ancien voisin nigérian, appelé Papa John, a été emprisonné pour des liens présumés avec la drogue. Ce dernier avait été la source d’inspiration pour le chef de gang dans Niabla. J’ai décidé de me plonger plus profondément dans cet univers, à une condition : tous les participants au projet devaient avoir une pouvoir de décision égal. Ce n’est pas dans ma nature de participer à des processus d’écriture collective. On me faisait confiance pour évoquer la vérité, et pour apporter un caractère plus sombre au projet.
Qu’entendez-vous par sombre ?
Je voulais dépeindre la réalité telle qu’elle est, sans censure, et aussi parce que je suis noir. J’aime le cinéma noir et j’ai poussé les limites de cette noirceur.
Et quelle est la réalité à Abidjan dont vous parlez ?
À Abidjan, il y a des vérités que nous connaissons mais que nous n’arrivons pas à cerner. Le sujet de la drogue et du trafic de drogue est couramment discuté, mais sans la compréhension adéquate, il est impossible de le saisir. Cela place les résidents d’Abidjan et les étrangers dans une position d’incompréhension mutuelle.
Il y a aussi la réalité de l’emplacement. La majeure partie de notre récit se déroule dans le vaste quartier de Yopougon…
Yopougon est doté d’une identité particulièrement affirmée. Il se compose d’environ 2 millions de résidents, établissant ainsi la ville comme centre culturel d’Abidjan. C’est le lieu de prédilection des maquis, de l’amusement et de la vie nocturne, un quartier qui reste éveillé en permanence. De l’autre côté, se trouve Abobo, une autre zone populaire de taille équivalente, mais principalement résidentielle. Comparativement, il est courant que les résidents de Yopougon mènent entièrement leur vie sans se rendre à Adjamé, Cocody, ou au Plateau, d’autres grands quartiers d’Abidjan. Le quartier est équipé d’un tribunal, d’un Centre Hospitalier Universitaire (CHU) et d’autres infrastructures de vie nécessaires. Il abritait également l’ancienne rue Princesse, devenue célèbre grâce au film classique ivoirien, Rue Princesse (1993), de Henri Duparc, une rue bordée de bars. L’objectif était de rendre hommage à ce vaste quartier populaire.
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