Un organisme aux pattes teintées de rose à la manière inhabituelle, des « canidés de joyau » évoluant dans une cité post-apocalyptique, un opéra humoristique initié en 1860, mais peu prisé jusqu’à son renouveau en décembre 2018, ou les divers rôles au sein d’une œuvre d’un illustre peintre espagnol… Les mutts ont fréquemment été une source d’inspiration pour les créateurs.
Fait remarquable, le lévrier blanc aux pattes roses de l’artiste Pierre Huyghe n’est pas considéré comme un simple chien. « Le chien », comme l’a toujours souligné Pierre Huyghe. Tout au long des années 2010, un lévrier d’Ibiza a été omniprésent dans le travail du fameux créateur et est devenu un symbole dans l’univers de l’art contemporain. Avec une apparence raffinée, un pelage immaculé, si ce n’était de cette teinte rosée tatouée sur sa patte avant droite : l’individu surnommé Human est davantage une chimère qu’un animal domestique. Il a débuté son parcours artistique en 2012, lors de la Documenta au parc de Karlsaue à Kassel.
La majorité des organisateurs convoqués à cette manifestation quinquennale avaient choisi des musées pour exposer leurs œuvres. Huyghe, en revanche, a préféré pour son projet appelé « Untilled », le coin le plus isolé de ce vaste espace vert urbain, une sorte de marécage signalée par la statue d’une femme dont la tête est recouverte d’un essaim d’abeilles. Human déambulait parmi les monticules de sable, de la même couleur rose que sa patte.
Comment a-t-il surgit de l’abondance imaginative de Huyghe? Pour certains, il peut être le reflet de l’héritage de la peinture espagnole dorée du XVIIe siècle, parsemée de chiens, représentations de la fidélité. Une autre source d’inspiration plus récente provient de la représentation de Pier Paolo Calzolari, un des leaders du mouvement de l’arte povera, très respecté par l’artiste. En 1986, l’Italien faisait figurer dans un jardin public du palais ducal de Modène un boxeur albinos, aux pieds de trois blocs de glace. C’était comme une incarnation du rêve de Casa Ideale qui l’inspirait. « Je visualise », disait-il, « une maison où je pourrais vivre simplement et de manière inventive, avec cinq animaux albinos aux yeux rouges ; trois tours de glace obliques se fondraient continuellement sur une bande de feutre blanc, (…) des écouteurs de givre répètent la phrase « deviens fou, ange artiste ». Human est aussi une parabole sur l’éphémérité des choses, sur notre évaporation. Il est à la fois une silhouette et un murmure, un chien et un humain, il représente l’interrègne.
Parmi les spectateurs, certains l’avaient aperçu, tandis que d’autres l’avaient raté. Il y avait ceux qui y croyaient, et ceux qui n’y croyaient pas.
L’artiste Human est revenu hanter la rétrospective de son œuvre au Centre Pompidou à Paris en 2013. Auto-dirigé, il devenait le lien entre les pièces d’art, réimaginant son parcours à chaque moment. Pourchassé par des photographes amateurs, il se déplaçait librement dans cet écosystème fascinant créé par Huyghe. Les abeilles, les fourmis et les araignées étaient également présentes, il n’était pas le seul représentant du règne animal. Emma Lavigne, la commissaire de l’exposition, a résumé l’expérience comme une « promenade à travers des mondes inconnus. Ce n’est pas un espace qui nous est destiné, que nous pouvons faire nôtre, c’est plutôt un biotope, un terreau favorisant décomposition, germination, hybridation, vie ». Il reste 76.62% de cet article à lire, réservé aux abonnés.
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