« CULTURE FRANÇAISE – SUR DEMANDE – PODCAST
« L’influence de Kafka retrouvée dans l’urine de chat. La cour israélienne a récemment ordonné que les manuscrits inconnus de l’homme de Prague soient transférés à la Bibliothèque nationale de Jérusalem. Pour l’instant, ils résident chez une femme âgée qui accueille une quarantaine de chats dans un petit appartement de Tel Aviv. » Suite à cet article paru dans Le Nouvel Observateur en octobre 2012, Léa Veinstein se remémore. Elle se rappelle de l’enfant qu’elle était, somnambule avec des rêves récurrents qui la laissaient « submergée de tristesse ». Elle se souvient de la carte postale dans la bibliothèque de son père qui montrait un homme avec un sourire étrange. Elle se souvient de découvrir le nom de cet homme des années plus tard dans son livre d’allemand : Franz Kafka (1883-1924).
Après lui avoir dédié une thèse, Léa Veinstein, qui focalise son travail sur la mémoire (notamment avec ses podcasts « A la trace » et « Mémoires de la Shoah »), a décidé, pendant le confinement, de suivre la piste des manuscrits de Kafka. Ces manuscrits, après avoir survécu aux nazis, ont été succesivement revendus en Allemagne, aux États-Unis, enfermés dans des coffres-forts en Suisse, pour finir par être impliqués dans un procès de cinquante ans qui a même invoqué le Talmud. »
Dans son livre « J’irai chercher Kafka. Une enquête littéraire », Léa Veinstein nous fait vivre une histoire exceptionnellement captivante. Son récit est imprégné d’un certain talent et d’un niveau d’humour notable. Elle a par la suite adapté son œuvre en un feuilleton pour France Culture. Le mérite de la transformation radiophonique revient à Laure Egoroff qui a pris les rênes de la mise en ondes avec une délicatesse époustouflante en choisissant de « recréer l’histoire ».
A partir des enregistrements sonores de Léa Veinstein rapportés de son voyage en Israël, Laure Egoroff en a créé d’autres. Alors que l’interprétation de Léa Veinstein est confiée à Anna Cervinka de la Comédie-Française, d’autres voix fictives ont été introduites dans le scénario de Laure Egoroff. Cela comprend des personnages comme Franz Kafka (interprété par Philipp Weissert), Max Brod (Charles Morillon), et Milena Jesenska (Carine Goron). Zohar Wexler, un formidable acteur israélien, lit des passages d' »Une histoire d’amour et de ténèbres » (2002) d’Amos Oz et interprète également un chauffeur de taxi ironique à Tel-Aviv.
C’est une expérience de voyage inouïe qui nous transporte au-delà du temps, de l’espace et des frontières. On y décèle les accents et échos d’ici et d’ailleurs, et même de temps révolus. Ce voyage pourrait être qualifié par certains de « kafkaïen ». Cependant, il n’est nullement ardu si l’on se laisse simplement emporter par le flux de l’histoire. On est alors suspendu quelque part entre deux mondes; celui du passé, quand Franz Kafka était encore présent et le yiddish résonnait dans les théâtres et les cafés, et celui d’aujourd’hui, où on entend des voix diverses dans les rues de Tel-Aviv et de Jérusalem.
L’œuvre musicale éblouissante a été réalisée par Louise Perret, avec l’aide de Sébastien Giniaux qui manie le violoncelle et la guitare. En fermant simplement les yeux, on peut se laisser transporter par l’extraordinaire et authentique aventure des manuscrits de Kafka. Kafka passait ses derniers instants entouré de pivoines, peaufinant certains de ses écrits jusqu’à son dernier souffle. Son ami, Max Brod, rassemble alors ses manuscrits et les protège de l’oppression nazie (épisode 1). L’arrivée à Tel-Aviv (épisode 2) est marquée par la franchise de Léa Veinstein : « La mer ne m’inspire rien et la rue Spinoza [où les manuscrits de Kafka ont été conservés], est laide et sale. » Ce témoignage est suivi par la lecture émouvante des noms des trois sœurs de Kafka et de l’une de ses amantes (Milena Jesenska), toutes victimes tragiques sur le sol européen.
« Episode 3 se passe après la naissance d’Israël, lorsque les forces armées de l’Egypte, de la Syrie, de l’Irak, de la Jordanie et du Liban déclenchent une guerre. Max Brod tente de protéger les manuscrits de son ami qui, après de nombreux obstacles et un procès « kafkaïen », sont désormais conservés à la Bibliothèque nationale de Jérusalem. L’émotion de Léa Veinstein est palpable face à ces « bout de papiers », ses lettres et ses cahiers d’étude d’hébreu – une langue que Kafka s’était décidé à apprendre. « Pourquoi suis-je autant affectée ? », se demande-t-elle. « Est-ce l’expérience de toucher à tout un univers qui a presque évité l’extinction ? Une réflexion sur la puissance des mots et de l’imaginaire ? » Probablement tout cela, et plus encore, qui est si bien exprimé grâce à la direction artistiquement sensible de Laure Egoroff.
J’irai chercher Kafka, une série documentaire de Léa Veinstein réalisée par Laure Egoroff (Fr., 2024, 5 × 28 min), est disponible à la demande sur France Culture et sur toutes les plateformes d’écoute courantes.
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