Il existe des films qui semblent être comme des rêves : l’idée même de leur production semble impensable. C’est comme si chaque scène jaillissait de l’imagination de leur réalisateur pour être directement transférée sur film, sans avoir à traverser la réalité – le récif où viennent souvent se briser les plus grandes ambitions du cinéma. C’est exactement l’effet que provoque « L’Empire des sens » de Nagisa Oshima (1976), bloc de lave, film enivrant, qui est maintenant disponible dans une superbe restauration 4K, accompagné d’un coffret extrêmement complet offert par l’éditeur Carlotta. Le coffret comprend un fascinant livret écrit par le critique Stéphane du Mesnildot, une collection de précieux documents et suppléments, ainsi que deux magnifiques films supplémentaires, « L’Empire de la passion » de Nagisa Oshima (1978), et « La Véritable Histoire d’Abe Sada » de Noboru Tanaka (1975). Un geste éditorial qui correspond à la mesure du film et de sa signification, et qui remet ce rêve dans son contexte esthétique et politique.
Le film est basé sur un fait divers qui s’est produit dans le Japon militariste de 1936. Il met en scène une femme, Abe Sada, dont la vie a été marquée par de nombreux malheurs : Inapte au mariage bourgeois à cause d’un viol subi à l’âge de 14 ans, elle devient geisha, attrape la syphilis, et finit par être prostituée. À l’âge de 31 ans, elle est embauchée comme servante dans une auberge. Kichizo Ishida, un libertin marié à la patronne, ne tarde pas à remarquer la jeune femme. Ils tombent éperdument amoureux, se marient en secret, et dans une maison de thé, passent quatre jours à faire l’amour sans interruption sous le regard ébahi des servantes et des geishas de passage.
Dans leur relation, toutes les activités étaient permises, de l’introduction d’aliments dans le vagin à l’érotisme de la strangulation. Leur passion sexuelle augmentait continuellement, culminant le 16 mai 1936, quand Kichi consentit à la strangulation par Sada jusqu’à la mort. Après son exécution, elle lui coupe le sexe et écrit sur son torse avec son sang, « Sada et Kichi ensemble pour toujours ». Lors de son procès, son témoignage a touché le public. Son crime a été classé comme un crime passionnel, ce qui lui a valu six ans de prison avant d’être graciée en 1941.
En 1970, après une période d’utopies révolutionnaires, le Japon a sombré dans une longue période de prospérité. C’est à ce moment que Nagisa Oshima (1932-2013) a décidé d’aborder le mythe de Abe Sada. Le provocateur de la nouvelle vague japonaise croyait que « faire un film est, en essence, un acte criminel » et ne souhaitait pas être limité à la production de « roman porno », des films d’érotisme variable qui respectent néanmoins la censure japonaise concernant la représentation des poils ou des parties génitales. Il reste 56.32% de cet article à lire. Le reste est exclusif pour les abonnés.
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