Six interprètes, composées de femmes cisgenres et de personnes transgenres, annoncent le nombre de jours (859, 1 006 ou 1 513, le record) depuis leur libération. Quatre sont vêtues de robes et deux de costumes, toutes en noir, et se tiennent debout face au public derrière un rideau fermé. Elles expriment leur chant en espagnol, affirmant qu’on ne choisit pas son propre destin, puis se lancent dans une danse. Non professionnels dans le domaine de la performance, du chant ou de la danse, elles le font maladroitement. Il y a 859, 1 006, 1 513 jours, elles étaient encore confinées à la prison pour femmes d’Ezeiza à Buenos Aires, en Argentine, principalement en raison de leur implication dans le trafic de drogue.
C’est là, en 2019, que Lola Arias, une réalisatrice argentine, les a rencontrées lors d’ateliers de théâtre et de cinéma. Ces rencontres ont donné naissance à un documentaire, REAS, qui a été suivi par une deuxième partie musicale et théâtrale présentée au Festival d’Avignon: Los dias afuera. Le titre espagnol se traduit par « les jours dehors », c’est-à-dire à l’extérieur ou hors de l’emprisonnement. Yoseli, Paulita, Carla, Estefania, Noelia et Ignacio apportent au coeur de l’Opéra Grand Avignon une parole puissante qui contraste fortement avec l’esthétique raffinée, élégante et dorée de la salle à l’italienne, une parole issue de la rue, de la contrainte, de l’exclusion ou de la précarité.
Finalement, le rideau se dévoile, dévoilant le contraste entre le calme institutionnel et le chaos de la réalité. Face à cette réalité dure et impitoyable, aucun acteur n’a flanché malgré des expériences traumatisantes. L’ambition de s’en sortir, la résilience : ces éléments sont présents et ils impressionnent. D’un bout à l’autre, les spectateurs, galvanisés par la musique (cumbia et music-hall) et le message véhiculé depuis la scène (ne jamais abandonner), applaudissent les performances avant de se lever brusquement à la fin du spectacle pour une ovation enthousiaste.
Marginalisés par la société
L’Opéra Grand Avignon accueillait de nombreux jeunes et même un bébé de quelques mois, tenu à bout de bras par sa mère. Une petite fille dont les yeux étaient fixés sur une scène urbaine. Une structure métallique avec, sur un côté, apparition de décors éphémères évoqués par la pièce (cellules de prison, piscine ou appartement en désordre) et, sur l’autre, une voiture rouge qui abrite des scènes intimes, filmées et projetées sur la structure.
Au travers des discours, vidéos ou écrits, ainsi que des chansons et des danses, Lola Arias a tissé un enchaînement rigoureux et systématique de témoignages. Son but était sans doute de structurer les désordres que ces récits transmettent dans un cadre scénique et dramatique constant. Par conséquent, elle n’a laissé aucune place à l’incertitude ou à l’improvisation pour dévoiler ce tourbillon de vies chaotiques. Nous découvrons, l’un après l’autre, les événements présentés avec une régularité inébranlable qui ont influencé (et continuent de le faire) la vie quotidienne des acteurs : la pauvreté, la solitude, la violence subie, la sauvegarde personnelle en milieu carcéral, la drogue, l’exclusion sociale, la crainte de la police, les rejets constants, en raison d’être trans ou ancien détenu. Ceci est important, parce que en Argentine, il est dangereux de ne pas se conformer à la norme.
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