Boris Charmatz, le directeur du Tanztheater Wuppertal depuis 2022, s’est révélé être une figure notable de la 78e édition du festival d’Avignon. En moins d’une année, il a réussi à monter son spectacle, Liberté Cathédrale, dans trois endroits extraordinaires et somptueux. C’est à Wuppertal, en Allemagne, que le spectacle a été conçu, précisément sous les arches puissantes de l’église Mariendom de Neviges en 2023, avec 26 danseurs. Le spectacle a ensuite été adapté pour le Théâtre du Châtelet à Paris, où une impressionnante reconfiguration avait été mise en place spécialement pour lui. Le plateau a été transformé en une magnifique patinoire dorée couvrant toute la surface du parterre, doublant la superficie habituelle de la scène pour atteindre 644 mètres carrés. Enfin, le spectacle s’est déplacé en extérieur au stade de Bagatelle le vendredi 5 juillet, juste au moment où le ciel se teintait en rose fuchsia avec l’arrivée de la soirée, une expérience que Boris Charmatz apprécie particulièrement. Il était 21 heures 30 quand la douceur de la nuit s’est installée.
Ces trois lieux magiques ont deux points communs qui les distinguent du circuit traditionnel de diffusion. Premièrement, il y a une emphase sur la grandeur dans le format et la mise en atmosphère qui impègne de solennité la scène. Deuxièmement, à chaque occasion, l’audience entoure les interprètes et se trouve intégrée dans la réalisation globale de l’œuvre ; une plongée dans le processus que Charmatz affectionne pour s’échapper de la confrontationalité de la boîte noire théâtrale, miserant sur l’utopie d’une communauté de danseurs et de spectateurs. Bien que très positifs pour la réception et l’aura du spectacle, particulièrement au Châtelet où la mise en scène visuelle a beaucoup suscité de discussions, ces facteurs ne nous empêchent pas de nous poser des questions. Est-ce que le fait de déplacer un spectacle et de le recontextualiser modifie fondamentalement son essence ? L’apport supplémentaire d’un décor, qui sert également de distraction, est-il suffisant pour optimiser le contenu ?
Ces doutes nous dominent alors que nous entrons sur le terrain de football. C’est la troisième fois que Charmatz, amateur de grandeur, décide de mettre en scène une pièce à cet endroit. En 2011, il s’agissait de Levée des Conflits. Juste sept jours auparavant, Cercles entraînait 175 amateurs dans ses vagues énergétiques. Pour Liberté Cathédrale, Charmatz a restreint son espace de danse à un coin du terrain bordé par d’énormes néons blancs. Néanmoins, le soir même où le match France-Portugal enflamme de joie les rues d’Avignon, l’impact du lieu est tout sauf banal, débordant de projections et de mythologies contemporaines. Le débat sur la popularité de l’art coïncide ici avec celui du collectif et de ses forces opposées: ses capacités à unir et à diviser, à procurer de la chaleur et de la violence, et à souvent déborder lorsque la compétition rase le gazon pour gagner ou perdre.
Vous avez encore 57.14% de cet article à parcourir. La continuation est exclusivement pour les abonnés.
Laisser un commentaire