Il est sans équivoque qu’on a longtemps anticipé cela. Jouant un rôle capital dans l’arrangement des Jeux Olympiques, la station Saint-Denis-Pleyel est à la fois le plan clé du Grand Paris Express, un pôle principal élaboré pour relier les lignes 14, 15, 16 et 17 de ce réseau à leurs homologues, les lignes D et E du RER. C’est de plus son joyau le plus précieux. Les images produites par le bureau de l’architecte japonais Kengo Kuma, vainqueur du concours international d’architecture pour ces hubs en 2013, mettaient en scène le bâtiment comme un assemblage de volumes inclinés et asymétriques, mis en évidence par un rideau de fines colonnes de bois, légères comme un château de cartes. Les images du projet dégageaient une lumière chaleureuse pendant la nuit, apportant une douceur et une sophistication inédites dans le paysage rugueux où il était positionné, entre les voies ferrées et le carrefour Ornano-Pleyel, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Ces représentations, largement médiatisées, ont façonné au fil des ans une image des plus sympathiques pour le Grand Paris Express. Tandis que les tunneliers creusaient le sous-sol de l’Ile-de-France et que les promoteurs saturait l’horizon des futures stations de logements et de bureaux, elles ont donné à ce projet monumental une aura presque envoûtante.
Quelle est, en vérité, l’image de la gare Saint-Denis-Pleyel qui devrait être officiellement ouverte par Emmanuel Macron le lundi 24 juin ? Emergeant de l’ouest de Saint-Denis, on observe une forme unique mettant en avant ses volumes superposés sur quatre niveaux aux décalages subtils, semblable à des accordéons interconnectés. Un large escalier qui grimpe en douceur depuis une esplanade plutôt brute, malgré la présence de jeunes arbres, ainsi qu’une rampe qui s’étend dans la direction opposée pour atteindre l’entrée de la gare et le passage vers l’entrée du RER, lui donne une dynamique particulière. Cependant, cela relève principalement du visuel. Les cases semblent se resserrer à mesure qu’on monte, pivotant légèrement les unes sur les autres, projetant en porte-à-faux, se drapant dans des enveloppes origamilles, toutes en lignes fracturées, mais l’ossature orthogonale ne trompe pas. Sa lourdeur dément l’illusion de légèreté que les images tentaient de nous vendre. Il s’agit incontestablement d’une œuvre de rétrofuturisme.
L’aspect boisé, typiquement associé à Kengo Kuma et qui constituait l’empreinte du projet, s’est dissipé entre la conception en 3D et la construction physique. La façade, bien qu’ornée de brise-soleil en chêne (lamellé-collé, non traité), est dominée par le verre et le métal. En ce qui concerne la structure, comme on peut s’y attendre pour un projet de cette ampleur, elle est en béton et en acier. Ces divergences de perception pourraient sembler insignifiantes si l’image ne jouait pas un rôle aussi capital dans le choix des projets par concours et dans la propagande politique. Kuma n’est pas à blâmer pour cette situation. Il prend simplement part à un système qui incite les architectes à créer des images de plus en plus fantasques, au risque de banaliser l’architecture elle-même. Cela ne devrait pas éclipser les mérites réels de son travail.
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