Eric Ruf, 55 ans, dirigeant de la Comédie-Française, est issu d’une lignée familiale associée à l’extrême droite. De l’autre côté, se tient le dramaturge et réalisateur portugais Tiago Rodrigues, 47 ans, en charge du Festival d’Avignon, ayant hérité de la révolution des œillets. Alors que Rodrigues prépare la pièce « Hécube, pas Hécube » basée sur Euripide avec la troupe française en juillet, ils lui et Ruf établissent tous deux un lien entre la crise politique contemporaine et celle du théâtre actif, voyant cela comme un symptôme d’une dégradation des valeurs du secteur public.
Concernant la possibilité d’une prise de pouvoir du Rassemblement national (RN) suite aux résultats des élections européennes du 9 juin, quelle est votre opinion ?
Eric Ruf : Je dois préciser que je ne suis pas le produit d’une révolution, mais celui d’une neutralité qui prête à interprétation, qu’elle soit suisse ou norvégienne. Mon père a voté pour le Front national, et malgré cela j’ai toujours eu de l’amour pour lui, parce qu’il était mon père. Cette histoire personnelle m’a amené, depuis longtemps, à réfléchir sur ce sujet : en considérant cette situation familiale, je ne peux pas simplement conclure qu’une fraction de la population est ignorant. Je reconnais combien les paradoxes peuvent être pertinents. Mon père, en tant que docteur, nous a éduqué avec les humanités, la langue grecque et latine, et lisait aussi le National Hebdo. Depuis mon adolescence, j’étais perplexe quant à sa capacité de passer de l’un à l’autre sans une quelconque remise en question. J’ai le sentiment que ce cycle, cette boucle, n’a de cesse de m’angoisser. J’ai aussi l’impression que depuis un certain temps, nous avons du mal à appréhender la complexité du monde.
« D’après Tiago Rodrigues, il considère que l’une des préoccupations primordiales est liée à nos valeurs, ce qui est fortement attaché à la notion culturelle. Provenant lui-même du Portugal et nouvellement établi en France, il ne voit pas de risque de partialité dans ses affirmations. Il souligne que, depuis les quatre-vingts dernières années, la France a établi un exemple remarquable dans le domaine de la culture, l’éducation nationale, la jeunesse et le secteur social. Tout ceci a été réalisé dans un environnement de diversité culturelle et d’ouverture mondiale. Malgré le danger que court cette noble quête, ce sont les valeurs qui l’ont engendrée : un concept, une conviction certes indéfinissable, que la culture encourage la cohésion sociale et favorise la valorisation de la diversité, tout en enrichissant la démocratie par un discours sophistiqué. Et pourtant, ces valeurs ont été trahies par les partis politiques de tous horizons, qui les ont délaissées. Il estime que le discours public politique s’éloigne de la reconnaissance de la culture et de son importance. Il déclare que nous vivons dans une époque marquée par des discussions électorales stratégiques pragmatiques et parfois cyniques, qui négligent les valeurs et le débat d’idées. Le reste de cet article est accessible uniquement aux abonnés, soit 84.81% du texte total. »
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