Avez-vous déjà vu un bâtiment qui ressemble à une combinaison d’un château médiéval, une station d’épuration et une construction martienne inspirée de Moebius ? C’est un spectacle à couper le souffle avec une façade complètement ouverte, ornée d’arches gigantesques et percée de nombreux hublots. Il a des étages superposés comme des poutres mal alignées et, pour couronner le tout, une petite tour suspendue qui perturbe la ligne horizontale du toit. Suivant l’angle de votre regard et votre imagination, l’édifice peut ressembler à plusieurs choses : la gueule béante d’un dinosaure en colère, un serpent mécanique sortant tout droit d’un film Universal des années 1950, ou un chiton, ce mollusque doté d’innombrables minuscules yeux incrustés dans sa coquille.
Le plus surprenant, c’est que ce bâtiment abrite une école. Il s’agit de la Reggio School, qui héberge des élèves âgés de 2 à 17 ans. Ce chef-d’œuvre a été créé par Andres Jaque, un architecte espagnol basé à Madrid, également doyen de l’école d’architecture de l’Université Columbia à New York. Depuis son ouverture en septembre 2022, l’école a été largement commentée et a reçu de nombreux prix, dont le très prestigieux Global Award for Sustainable Architecture. Selon de nombreux observateurs, c’est une des meilleures nouvelles que le monde de l’architecture nous ait offertes depuis longtemps.
Cette construction, quoique déroutante, s’inscrit tout de même à merveille dans le paysage environnant. La bâtisse, faite de béton partiellement exposé et entourée d’une épaisse couche de liège, se camoufle aisément parmi la rugosité du terroir sur lequel elle repose, une ancienne décharge du nord de Madrid où la nature refait surface ces dernières années. Cette zone, dont le relief est composé de débris sédimentaires, a été sélectionnée délibérément par les parents et enseignants. Bien que l’idée puisse sembler paradoxale, elle concorde en réalité parfaitement avec le programme éducatif qu’ils ont élaboré collectivement, qui aspire à former des adultes conscients du monde qui les entoure, sensibles à la diversité des individus qui peuplent notre société, et attentifs à la fragilité et à l’importance de la vie. Ce parc alternatif leur servira à la fois de terrain de jeux et de lieu d’éducation, semblable à un gigantesque laboratoire de restauration du vivre.
Andres Jaque est un laborantin exubérant, un héritier spirituel de la movida, qui a réussi à fusionner la philosophie de l’anthropocène de Bruno Latour (1947-2022) et la philosophie queer de Paul B. Preciado. Son agence est située dans un vaste espace souterrain au coeur de Madrid, dans l’une des rares rues du centre ville qui a échappé à la gentrification. Bien qu’il soit dans la cinquantaine, Jaque travaille activement sur une variété de projets de différentes échelles, allant d’installations muséales à des institutions publiques. Il croit fermement que l’architecture est, par nature, un domaine politique, un terrain riche en recherche et une tactique importante pour combattre le réchauffement climatique pendant cette crise climatique critique. L’agence porte le nom de « Office for Political Innovation », une traduction littérale de ses croyances.
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