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« Françoise Chandernagor: ‘La petite prolétaire’ à Sciences Po »

Françoise Chandernagor, une ex-haute functionnaire renommée et écrivaine acclamée, fait aussi partie du jury du prestigieux Prix Goncourt. Malgré son dynamisme et son joie de vivre, l’auteure de L’Allée du roi (Gallimard, 1981), âgée de 78 ans, cache des vulnérabilités et des phases importantes de dépression. Souffrant d’insomnie depuis de nombreuses années, elle expose une partie de son côté obscur dans L’Or des rivières (Gallimard, 304 pages, 21 euros), son premier livre autobiographique sorti fin avril.

Elle reconnaît qu’elle n’aurait pas atteint ce point si elle n’était pas revenue vivre en Creuse, la terre de sa mère et de tous ses ascendants. Malgré avoir passé une grande partie de sa vie en région parisienne et à Paris même, elle ressentait constamment une affinité profonde pour la Creuse, où elle passait toutes ses vacances et d’où elle partait toujours avec une grande tristesse. Par conséquent, après l’ENA (Ecole nationale d’administration), elle a décidé de travailler au Conseil d’Etat, avec l’espoir que les longues vacances judiciaires lui permettraient de passer plus de temps en Creuse. Quand ses livres ont commencé à avoir du succès, elle a quitté le service public pour vivre et écrire le plus possible dans ce département, l’un des plus démunis, mais également le plus préservé de France. Comme le disait sa voisine, l’écrivaine George Sand (1804-1876) dans une lettre: « arriver, pour nous, c’est toujours revenir ».

Mais, pourquoi un tel amour pour la Creuse ?

Mon lieu de répit a toujours été ici. Dans la ville de Palaiseau [Essonne], la vie me semblait dure. Ma naissance a eu lieu dans une maison curieusement agencée, érigée par mon grand-père maternel, un maçon originellement de la Creuse, qui s’était installé en région parisienne pour trouver de l’emploi. Pour moi, l’école était une immense torture. Avec un brillant palmarès d’être première en classe, étant également la plus jeune, et le port permanent de lunettes dû à un strabisme inopérable, j’étais l’objet parfait de harcèlement. Il y avait des filles qui s’amusaient à retirer constamment le pompon de mon bonnet ou à y verser de la farine, et au cours de la ronde Entre les deux mon cœur balance, je subissais fréquemment « les cent coups de bâton ». Cependant, j’avais quand même quelques très bonnes amies. Par la suite, mon strabisme a fini par se rectifier avec la myopie. Cependant, dès l’âge de 8 ou 9 ans, j’étais déjà aux prises avec l’anxiété et l’insomnie.
D’où provenait cette angoisse ?

Je pourrais attribuer cela à du harcèlement que j’ai subi. Un autre facteur est un accident de voiture que ma famille et moi avons eu, nous en sommes tous sortis indemnes, mais il a amené en moi une peur persistante de la mort. Il existait également une peur accablante que je ne travaille pas suffisamment bien. La veille d’un examen, le sommeil m’échappait. Ensuite, jour après jour, il devenait de plus en plus difficile de trouver le sommeil. Lorsque mon père n’était pas à la maison, je trouvais du réconfort en me faufilant dans le lit de ma mère où je pouvais m’endormir paisiblement. J’ai jamais entrepris de psychothérapie, mais en y réfléchissant, j’ai réalisé que ma difficulté à dormir est peut-être liée au comportement brutal de mon père qui m’a séparée de ma mère alors que je n’avais que huit jours et qu’elle m’allaitait. Pour avoir la tranquillité et pour me faire dormir toute la nuit, il a déplacé mon berceau à l’autre extrémité de l’appartement, me laissant pleurer. Après quelques jours, il avait gagné ; il était très fier de sa méthode. Peut-être cela explique-t-il encore mes difficultés à dormir…
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