« OPINION DU « MONDE » – À REGARDER
Avec chaque nouveau film qu’il propose d’une manière éparse, Pascal Bonitzer, doté d’un curriculum de scénariste impressionnant, semble se lancer un nouveau challenge d’écriture. Le Tableau volé est l’occasion d’explorer un milieu professionnel rarement représenté, celui du marché de l’art. Dans ce domaine, le langage joue un rôle clé pour rendre l’univers des spécialistes crédible à l’écran. En effet, le vocabulaire spécifique contribue largement à dessiner ce milieu.
L’histoire s’inspire d’un événement réel survenu au début des années 2000 : la découverte d’une œuvre d’Egon Schiele, considérée comme perdue depuis soixante ans, chez un ouvrier chimiste de la périphérie de Mulhouse, qui s’est conclue par une vente record. André Masson (interprété par Alex Lutz), commissaire-priseur pour la filiale parisienne d’un groupe international (« Scottie’s », clin d’œil à la fameuse maison Christie’s), est informé par courrier de l’existence d’une toile. Accompagné de son ex-femme, Bertina (Léa Drucker), il se rend dans une petite maison acquise en viager pour authentifier la dite toile.
Les deux personnages sont stupéfaits de reconnaître Les Tournesols, une variation sombre du peintre autrichien sur le thème de Van Gogh, qui avait été volée à une famille juive de collectionneurs par les nazis. Pour transformer cette découverte en un tremplin pour sa carrière, André doit faire preuve de stratégie dans le jeu de poker menteur qui se joue alors entre les héritiers, les experts, les galeristes et les représentants légaux.
Un nid de vipères »
La peinture d’un milieu n’est pas la même chose que sa compréhension en profondeur, avec toutes ses connexions et fonctionnements. Le film réussit à le faire captivant en mettant en scène une variété de personnages soigneusement sélectionnés : la stagiaire mythomane (Louise Chevillotte), l’avocate rigide (Nora Hamzawi), les experts qui déterminent la valeur d’une œuvre d’art sur le marché, les grands pontes qui manipulent tout, ainsi que les clients riches et changeants.
Bonitzer sait comment traiter le côté technique : les enjeux juridiques et économiques, les âpres négociations, l’aspect commercial, qu’il réussit à incorporer de manière fluide dans la fiction. Ce microcosme est représenté comme un nid de serpents. Les dialogues secs s’y déroulent comme des duels d’escrime entre grands prédateurs désagréables, évoluant dans un environnement luxueux et puissant. Dès les premières scènes entre le commissaire et sa stagiaire Aurore, on leur fait comprendre qu’il faut « se prostituer » pour réussir dans le métier. Le réalisateur adore naviguer dans cette sociabilité tranchante, voire même perfide.
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