La représentation artistique de la vie rurale est une tradition millénaire, présente depuis l’époque de Sumer, en passant par l’Antiquité et l’Égypte des pharaons. Cette tradition n’a pas disparu au fil du temps, comme en témoignent les miniatures médiévales, la fresque du Bon Gouvernement de l’artiste siennois Ambrogio Lorenzetti, les scènes campagnardes des Le Nain et de leurs pairs néerlandais, jusqu’à Jean-François Millet, Jules Breton et d’autres artistes réalistes du XIXe siècle.
L’exposition « Artistes et paysans », également intitulée « Battre la campagne », commence avec ces artistes du 19ème siècle, présentant près de 150 œuvres d’une cinquantaine d’artistes. Ces œuvres, qui mettent en lumière tous les aspects de la vie rurale, sont réparties au rez-de-chaussée du musée des Abattoirs. Le sujet de la ruralité est toujours pertinent et poignant, comme l’ont récemment rappelé de nombreux événements sociopolitiques. L’exposition, organisée bien avant les mouvements de protestation récents et le Printemps officiel de la ruralité, ne pouvait pas mieux tomber.
Pourquoi l’exposition ne parvient-elle pas à être totalement convaincante? Cela s’explique par le fait que peu d’œuvres réussissent à exprimer leur message ou leurs réflexions à travers une esthétique auto-suffisante. Ces œuvres auraient une puissance visuelle suffisante pour capter l’attention sans avoir besoin des explications fournies à côté. Une hésitation constante nous fait passer d’une présentation de faits documentaires, qui seraient aussi, voire plus, efficaces dans un ouvrage que sur un mur, et d’un symbolisme qui semble dévaloriser le sujet qu’il tente de saisir. Les études graphiques et photographiques de Maria Thereza Alves sur le commerce entre les Amériques et l’Europe, y compris l’esclavage, sont convaincantes. Elle démontre en effet une habilité à mettre en relation et à éclairer les images dans leur ensemble. Mais dans d’autres cas, le recours à des explications, parfois floues, semble indispensable et on se demande jusqu’à quel point les intentions, aussi sincères soient-elles, sont efficaces.
La photographie d’une chaise vide dans une cuisine ou dans un champ entouré de bovins, visant à symboliser le suicide d’agriculteurs submergés par les procédures administratives, est certainement bien intentionnée. Cependant, sans le texte explicatif, serait-elle compréhensible?Cette question se pose souvent, par exemple devant la collection de tubes remplis de graines par Jade Tang. Il s’agit d’une démarche d’archéologie des espèces végétales qui nécessiterait une explication plus détaillée.
Parfois, on peut déduire que dans les vastes serres dédiées à la surproduction de légumes dans le sud de l’Espagne, c’est là que Terence Pique inscrit en lettres plastiques les mots Sacrificio et Esfuerzo (« sacrifice » et « effort »); ou que la vidéo d’Annabel Guérédrat dans laquelle elle est filmée nue, son corps enfoui sous une couche de sargasses sur une rive de la Martinique, dénonce la prolifération de ces algues provoquée par la destruction des mangroves ; ou encore que les illustrations de Thierry Boutonnier dans un costume et une cravate, enseignant la crise laitière aux vaches avec des graphiques ou expliquant la surproduction de viande à des cochons, sont des satires anti-bureaucratiques et anti-capitalistes. Cependant, parfois, on demeure déconcerté face à l’expression tangible d’une idée par ailleurs pertinente.
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