L’historienne Barbara Necek a toujours eu le don de produire des documentaires fascinants, que ce soit sur le sort des résistantes allemandes dans l’Allemagne nazie, la position de l’Autriche dans le régime national-socialiste, la Shoah des ghettos ou la lutte des déportés républicains espagnols dans le camp de Mauthausen. Cette fois, avec l’historienne Camille Fauroux, qui a écrit Produire la guerre, produire le genre. Des Françaises travaillant dans le système national-socialiste allemand (EHESS, 2020), Barbara Necek a étudié le destin de 80 000 Françaises qui ont volontairement quitté la France pour travailler en Allemagne entre 1940 et 1944.
Necek examine ces femmes qui ont travaillé dans les usines, les ateliers et les entreprises de l’ennemi, éclairant une partie oubliée de l’histoire. Des documents filmés sans précédent et des témoignages, notamment de Chantal (16 ans lors de son arrivée en Allemagne) et de la fille et du petit-fils de Suzanne Becail, qui travaillait près de Stuttgart dans une usine de chaussures Salamander, révèlent l’histoire de ces femmes qui n’étaient ni résistantes ni collaboratrices.
Au printemps 1945, les trains de retour en France en provenance d’Allemagne transportaient des prisonniers de guerre, des travailleurs forcés et des déportés, mais aussi des groupes de femmes en bonne santé, vêtues de tenues civiles. Elles ont été accueillies par des huées de femmes de prisonniers de guerre. Leur crime? Elles avaient choisi de travailler pour l’ennemi. Alors que certaines ont été tondue, beaucoup d’autres se sont murées dans le silence, ont refait leur vie, ont essayé de passer inaperçues.
Le documentaire examine la situation de ces jeunes femmes majoritairement issues de milieux modestes, dont l’âge moyen est de 26 ans, qui ont fait le choix d’aller travailler en Allemagne pour diverses raisons. L’attrait d’un poste stable, d’un salaire décent, d’un logement convenable, de la nourriture, des soins de santé, du temps libre et d’un droit de retour à la maison stipulé dans le contrat de travail sont autant de motivations.
Plus que l’aspect financier, leur quête de liberté les a poussées à s’éloigner de la société française dominée par les hommes, où le chômage sévit, et du régime de Pétain qui préconise le foyer comme lieu approprié pour les femmes. À leur départ, une prime de 1 000 francs leur fournit un soutien financier pour aider leur famille ou rembourser leurs dettes.
Cependant, la réalité allemande de ces travailleuses françaises se révèle moins harassante que celle des travailleuses (non volontaires) originaires de l’Est. Néanmoins, les promesses du contrat de travail sont rapidement noyées dans la désillusion : logées dans des logements précaires, avec des conditions de vie qui deviennent de plus en plus difficiles en raison de la surveillance constante et des fréquents bombardements sur le Reich. Deux mille travailleuses françaises y perdent la vie.
« La Honte et l’oubli, travailleuses françaises en Allemagne nazie », un documentaire de Barbara Necek (Fr., 2023, 60 min) est disponible à la demande sur France.tv.
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